Christian

Devoir de français "Faire l'incipit d'une nouvelle réaliste"

Texte écrit en classe de Seconde 

   Christian ouvrit les yeux. Encore ces satanés voisins qui s’engueulaient, et il n’était pas encore 8 heures, ce n’est pas qu’ils criaient forts, ils gardaient même une certaine retenue, mais les murs d’un HLM sont comme poreux, ils absorbent les sons. C’était encore à propos de la garde de Pauline, leur fille. Il passa sa main dans ses cheveux, ses sourcils, broussailleux, comme toujours… Lentement, il s’occupa de les replacer, il ne voulait pas qu’on le voit comme ça au travail. Maintenant il était prêt, mais prêt à quoi ? 


   A s’habiller de son sempiternel trois pièces ? se brosser les dents, puis acheter son croissant, prendre le métro à l’arrêt “Pyramide”, lire le journal une vingtaine de minutes, juste le temps d’arriver à son bureau à la Défense, où il saluerait ses collègues… Pendant vingt années la même routine, 21 982 cafés à 25 francs pièces, quelques milliers de paquets de Nat Sherman, des cigarettes hors de prix importées des Etats-Unis, les plus grands restaurants, les plus grands vins, le plus grand appartement, un loyer astronomique. C’est vrai, il avait profité de cette vie de bourgeois, le premier arrondissement de Paris est très agréable. 


   Comment en était-il arrivé là ? Voilà ce qu’il se disait, maintenant que la situation n’avait fait qu’empirer depuis son licenciement, en 1996. Un vaste plan de licenciement : 900 personnes, dont tout son service. Qui aurait cru que, du jour au lendemain, on puisse le remplacer de la sorte ? Tout le monde en fait. En effet, la société Alcatel depuis quelques années déjà se recentrait sur le domaine des télécommunications. Sa plus grande faute professionnelle fut de n’avoir jamais cru au potentiel des téléphones cellulaires, une lubie selon lui. 


   Des mauvaises langues mettraient cette erreur sur le compte de l’orgueil, comme quoi au sommet de sa puissance il se serait senti intouchable ! mais non, on parle ici d’un homme, qui, absorbé par une routine luxueuse, a fini par perdre de vue l’air du temps. Les Nat Sherman étaient chères certes, mais ne connaissaient pas un franc succès. En revanche, les cellulaires, eux, en connurent un. Dès 1993, le beau monde de Paris s’acheta un Bi-Bop, 1890 francs pour un appareil encombrant qui ne fonctionnait qu’à condition d'être à proximité d'une borne publique, et de s'être déclaré sur la borne. Est-ce que l’achat d’un Bi-Bop aurait révolutionné sa vie ? Non. Mais maintenant la routine était plus morne, et il ne comptait plus que les jours, pendant que son successeur, dans son bureau, comptait les téléphones vendus, en millions d’exemplaires.


   Après son licenciement, il déménagea dans le 10e arrondissement, son allocation chômage et le peu d’argent qu’il avait à la banque lui permit pendant presque un an de résider dans un joli appartement. De temps en temps on lui rendait visite, il était persuadé de retrouver rapidement un travail, par ses relations surtout, il n’allait que très peu à l’ANPE. Certains de ses amis lui avaient proposé de l’aide, qu’il avait refusé. Inconcevable ! pourquoi soudainement tant de charité ? ils se moquaient de lui, quand il aurait retrouvé un travail, ils retrouveraient pour sûr leur avarice ! Les mois passèrent, ses relations disparurent, tout comme l’argent, gaspillé.


   Ah ! son histoire, combien de fois l’avait-il ressassée ? Après tant de jours passés à l’ANPE, bientôt il ne toucherait plus l’allocation chômage, et allait donc accepter un emploi, qu’il ne voulait pas. Après tant de jours dans cet HLM à entendre les voisins parler, rire, écouter de la musique, chanter, crier... Le bruit le plus assourdissant était celui du silence, quand il se retrouvait seul.